Il y a trois ans, lorsque j’ai eu vent que la précédente équipe de JdR Mag allait passer la main, j’ai immédiatement appelé Isabelle, et après quelques minutes de conversation excitée avec elle, Sébastien (C.) était dans la boucle. Trois jours plus tard, nous entamions la reprise du mag.
Éditer du jeu de rôle est une aventure qui n’a aucun sens d’un point de vue commercial. C’est au bas mot une activité chronophage. Se lancer dans la publication d’un mag de jeu de rôle, alors même qu’on s’échine à suivre deux gammes de jeu de rôle, confine à l’absurde.
Et c’est sans doute pour ça qu’il faut absolument faire du jeu de rôle, en écrire, en publier, y jouer. Parce que ça n’a pas de valeur mercantile, parce que c’est une activité jugée «annexe». Et pourtant, il y aurait beaucoup à dire sur l’intensité avec laquelle un auteur de jeu de rôle touche son lecteur/joueur, et comment un joueur de jeu de rôle entre plus sûrement dans la sensibilité de son auteur, s’abandonne plus véritablement à son histoire, que dans tout autre média. On pourrait aborder ce sujet dans la rubrique transmédia «Aspirine» d’Isabelle. Cette rubrique lui tenait tant à coeur. Mais, lorsqu’on a Isabelle à ses côtés, électrisée à l’idée de s’occuper d’un mag, et Sébastien plus intériorisé mais bouillonnant, je peux vous assurer que plus rien ne semble absurde, ou infaisable.
Et voilà, une dizaine de numéros plus tard, où nous en sommes. Isabelle et Seb nous y ont hissés.
Nous sommes tous happés par des problèmes de santé, de boulot, de temps passé avec nos enfants. Nous avons tous (lecteurs, joueurs réguliers ou auteurs) un projet de jeu de rôle sur un coin de notre bureau et «qu’on va faire c’est certain, reste plus qu’à reprendre quelques petits trucs». Nous avons tous une campagne à achever, avec notre vieux copain Warmaster qui, c’est vrai, est un peu lourd quand on l’invite à dîner en famille, mais qui est bien marrant quand il s’agit de faire parler un gob. Ces vieux potes du bahut, qu’on ne croise plus qu’aux parties de jeu de rôle mais qu’on a l’impression d’avoir quittés hier. Alors on court après le temps. On manque de temps. Mais on l’accepte. Parce qu’on croit que tout sera là demain, intact.
Je n’ai pas eu le temps de dire à Isabelle à quel point je suis fier de m’être lancé dans ces aventures éditoriales avec elle.
À quel point Wasteland, Mournblade et JDR Mag sont d’une qualité d’écriture, et d’une justesse, qui me rendent fier du travail que nous avons accompli ensemble.
La disparition d’Isa nous a tous plongés dans un désarroi et une tristesse qu’il n’est pas honteux d’exprimer. Et sans doute, la plupart d’entre nous avons encore du mal à réaliser l’ampleur du vide qu’elle laisse. J’ai pris un nombre de pots considérable avec elle, et le nombre des projets que nous avions échafaudés était tout aussi considérable. Il est encore trop tôt pour parler du legs ludique qu’Isabelle a fait à notre activité préférée. Certains de ses textes sont encore en cours d’édition. Et Les Héritiers est encore sur mon bureau… J’attendais qu’elle me mène une partie test. On devait le faire avant la fin de l’année. Mais on devait se rappeler… On avait le temps.
On n’aura plus jamais le temps.
Alors appelez vos potes, sortez vos projets du tiroir, faites une partie de jeu de rôle.
Jean-Luc Boukhari