WHITBY ABBEY
L’ABBAYE DU COMTE DRACULA
L’ABBAYE DE WHITBY EST RICHE D’UNE HISTOIRE PLURISÉCULAIRE FAITE DE SAINTS, DE VIKINGS ET DE VAMPIRES… ENFIN SURTOUT DU PLUS CÉLÈBRE D’ENTRE EUX ! DRACULA POUR NE PAS LE NOMMER A VU LE JOUR À WHITBY DANS L’ESPRIT GÉNIAL DE BRAM STOKER ALORS QUE CELUI-CI ARPENTAIT LES RUES DE LA PETITE VILLE AU PIED D’UNE DES RUINES LES PLUS MAJESTUEUSES DE TOUTE L’ANGLETERRE.
Une bien longue histoire
L’abbaye de Whitby est un monastère chrétien, devenu plus tard une abbaye bénédictine, situé dans le Yorkshire à l’embouchure de l’Esk. Il fut fondé en 657 sous le nom de Streoneshalh et installé sur une haute falaise battue par les vents, dominant la mer du Nord, sur les rives du royaume de Northumbrie. Le nom du monastère peut être traduit par «la baie du fort» ou «la baie de la tour» en référence à une fortification romaine qui aurait été érigée là mais dont aucune trace n’est conservée. C’est le roi Oswiu de Northumbrie qui est à l’origine de la fondation du monastère pour remercier Dieu de sa victoire contre Penda, le roi païen de Mercie, royaume frontalier du sud. Il le confia à Dame Hilda, abbesse d’Hartlepool, et petite nièce d’Edwin, premier roi chrétien de Northumbrie. Cette femme joua un rôle important dans la christianisation de l’Angleterre et fut à la tête de plusieurs monastères. Reconnue pour sa sagesse, de nombreux rois venaient lui demander des conseils.
DES SERPENTS PÉTRIFIÉS
De nombreuses légendes courent au sujet d’Hilda. On raconte que sa mère, peu avant sa naissance, fit un rêve où, perdue dans une forêt sombre, elle errait à la recherche de son mari. Oppressée d’inquiétude, elle mit la main à sa poitrine et découvrit un joyau caché dans sa robe qui se mit à luire d’un puissant éclat blanc qui illumina toute la région. La plus célèbre légende veut qu’elle eût le pouvoir de pétrifier les serpents. Dans les falaises de Whitby on trouve beaucoup d’ammonites fossiles dont les coquilles évoquent des serpents enroulés, ce qui donna probablement naissance à cette histoire.
Ce monastère dédié à saint Pierre était double: il était habité par une communauté d’hommes et une communauté de femmes, les deux réunies sous l’autorité d’Hilda. Il a notamment abrité le plus ancien poète composant en langue anglaise connu: Caedmon, dont l’oeuvre prolifique ne nous est malheureusement quasiment pas parvenue. En 664 se tint au monastère le Concile de Whitby qui tenta de rapprocher les églises catholiques de Grande-Bretagne séparées en rite celtique, hérité des moines irlandais et rite romain, hérité de la mission papale d’Augustin de Cantorbery. Les points principaux de discussion étaient le mode de calcul de la date de Pâques et le style de la tonsure portée par les moines. Au-delà de ces questions relativement mineures c’était l’autorité religieuse sur la Grande-Bretagne qui était en jeu. Le concile décida que les Northumbriens adopteraient dorénavant le rite romain.
Deux cents ans plus tard, entre 867 et 870 le monastère fut attaqué lors de plusieurs raids vikings menés par Ivar Ragnarsson dit «le désossé» et surnommé le roi berserker en raison de sa rage au combat, et son frère Ubba. Le monastère fut détruit et le lieu laissé à l’abandon. En 944, Edmond Ier, roi d’une Angleterre enfin unifiée, fait déterrer les ossements de sainte Hilda et les emmène à Glastonbury où il se fera lui-même enterrer.
La nouvelle abbaye
L’histoire du monastère reprend à la fin du XIe siècle lorsqu’Aldwin, prieur de l’abbaye bénédictine de Winchcombe près de Gloucester décide de visiter les vestiges des lieux saints abandonnés du nord de l’Angleterre. Il est accompagné de deux autres moines, Elfwy et Reinfrid, un ancien soldat de Guillaume le Conquérant devenu moine. Les moines se séparent en chemin et Reinfrid vient s’installer avec quelques compagnons sur le site de Whitby, abandonné après les raids vikings du ix e siècle. Whitby fait alors partie de la baronnie de Guillaume de Percy, un noble anglo-normand originaire du continent installé après la victoire de Guillaume le Conquérant. Guillaume de Percy donne l’autorisation à Reinfrid de fonder une communauté sous l’égide de la règle de saint Benoît. Mais très vite des tensions apparaissent entre Guillaume et Reinfrid et la communauté est régulièrement attaquée par des pirates venus de la mer sans que le baron ne semble vouloir défendre les moines. La situation s’améliore quand le frère de Guillaume, Serlo de Percy, devient le prieur de Whitby. Par la suite, un neveu de Guillaume devienne l’abbé de Whitby, abbaye bénédictine dédiée à saint Pierre et à sainte Hilda. C’est à ce moment-là que l’église est reconstruite. Le monastère de Whitby et la petite ville portuaire installée au pied de la falaise connaissent une certaine prospérité mais en 1153 le roi de Norvège Eystein Haroldson lance un raid sur la côte et ses hommes pillent et incendient la ville. La ville se rétablit et dans les années 1220 l’église est agrandie et ce sont les vestiges de cette nouvelle construction qui sont encore visibles aujourd’hui.
Henri VIII d’Angleterre et la dissolution des monastères
L’abbaye de Whitby resta prospère jusqu’au règne d’Henri VIII d’Angleterre (1491-1547). C’est dans les années 1530 qu’a lieu la dissolution des monastères, à laquelle l’abbaye doit son état actuel. La dissolution des monastères fait partie des événements liés à la naissance de l’anglicanisme, c’est-à-dire la prise d’indépendance de l’Église d’Angleterre vis-à-vis de l’autorité du pape. Henri VIII souhaitait en effet faire annuler son mariage avec Catherine d’Aragon, qui ne lui avait pas donné de fils, pour épouser Anne Boleyn. Le pape Clément VII refusa l’annulation et le roi décida de se passer de l’autorité du souverain pontife. En 1531 il se proclama lui-même chef suprême de l’Église d’Angleterre et fut excommunié la même année par Paul III. Mais Henri VIII ne s’arrêta pas en si bon chemin. Il avait des vues sur les biens de l’Église pour renflouer les caisses de l’État, presque vides à cause des guerres et de son mode de vie dispendieux. Il missionna son plus proche conseiller, Thomas Cromwell, pour qu’il inspecte les monastères d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Irlande pour vérifier la mise en place de la réforme. En réalité cela lui permit d’évaluer la valeur des biens des abbayes, des prieurés et des couvents. Thomas Cromwell dit qu’il avait constaté de nombreuses irrégularités et fit courir le bruit que les moines et les soeurs étaient des pécheurs qui vivaient dans le luxe et la débauche. Il dit également que les moines étaient des parasites qui vivaient sur le dos des travailleurs et que si le roi confisquait leurs biens alors il n’aurait plus à lever l’impôt. Une loi fut promulguée en 1538, autorisant la mainmise du roi sur la totalité des biens du clergé catholique. Beaucoup de bâtiments confisqués furent en partie détruits pour récupérer le plomb des toitures et des pierres de construction comme ce fut le cas pour l’abbaye de Whitby en 1539. Les pertes furent terribles car beaucoup de bibliothèques furent détruites et les mouvements populaires pour défendre les monastères furent réprimés dans le sang.
Bram Stoker à Whitby
Bram Stoker, l’immortel inventeur de Dracula, est un écrivain d’origine irlandaise passionné de contes et d’histoires fantastiques depuis sa plus tendre enfance. Pour gagner sa vie, Bram Stoker était administrateur du Royal Lyceum Theatre de Londres depuis 1878. Il trouvait cependant toujours le temps d’écrire des nouvelles fantastiques. Au cours de l’été 1890, il décida de passer quelques jours de vacances à Whitby. Il tomba vite sous le charme de cette petite ville portuaire et fut frappé par la silhouette de l’abbaye en ruine, en haut de la falaise, qui se découpait sur le ciel comme une ombre spectrale et menaçante. Ce paysage était plus que propice à la création d’une histoire d’épouvante.
Le 8 août 1890 il entra dans la bibliothèque municipale et s’intéressa à un livre de 1820 relatant les souvenirs d’un consul britannique en poste dans les principautés de Valachie et de Moldavie (Roumanie actuelle). Dans ce livre il était mentionné l’histoire d’un prince du XVe siècle, Vlad Tepes, connu pour faire empaler ses ennemis et surnommé Dracul (le Dragon ou le Diable) en raison de sa très grande cruauté. Bram Stoker retint le nom et la date. Il visita également à la petite église paroissiale Sainte-Marie, au pied de l’abbaye, à laquelle on accède après avoir monté 199 marches. Dans le petit cimetière de l’église, il note le nom des défunts inscrits sur les pierres tombales. L’un de ces noms, Swales, sera le nom de la première victime de Dracula à son arrivée à Whitby.
En discutant avec les marins du port, Bram Stoker découvrit les légendes de la région mais il s’intéressa surtout à un fait divers qui s’était déroulé cinq ans plus tôt, le naufrage du Dmitry. Ce navire russe en provenance de Narva s’était échoué sur la plage à la suite d’une terrible tempête. Quand les habitants voulurent porter secours aux marins une fois la tempête calmée, ils constatèrent qu’il n’y avait plus personne à bord.
Bram Stoker utilisa ces différentes sources d’inspiration pour le roman qu’il publia sept ans plus tard, Dracula. Mina par exemple raconte son passage à Whitby dans son journal.
Whitby est surtout important dans le roman car c’est là que Dracula entre en Angleterre. Le navire qui le transporte, le Demeter, venu de Varna, s’échoue dans la baie de Whitby à la suite d’une violente tempête le 8 août. Un énorme chien noir saute hors du bateau et monte les marches jusqu’à l’église… Dracula est arrivé à destination.
Vincent Blanchard
INSPIS
L’abbaye de Whitby est un exemple emblématique de la ruine gothique propice à la création d’un environnement fantastique. Ses murs majestueux percés de grandes fenêtres allongées en ogive et rythmés d’élégantes colonnes évoquent un passé lointain, où se mêlent la puissance créatrice de temps révolus et la violence destructrice d’armées conquérantes.
L’abbaye de Whitby est une source d’inspiration à plusieurs titres: le bâtiment en lui-même, son histoire et les légendes qui lui sont associées.
• Que votre jeu soit médiéval, fantastique ou d’horreur, il peut être le décor inquiétant et majestueux d’une terrible cérémonie de fin de scénario, où l’on tente de ressusciter un dieu oublié, un sorcier dément ou un prêtre ayant vendu son âme au diable.
• Bien que la ruine soit inquiétante elle peut néanmoins être la demeure d’un ancien esprit qui peut conseiller les PJ et leur apporter son aide. L’esprit de l’abbesse décédée n’apparaît qu’au travers d’une des baies sans vitraux de l’abbaye certains soirs de pleine lune et pour quelques heures. Elle peut renseigner les PJ sur comment se libérer d’une malédiction ou sur la cachette d’une ancienne relique de pouvoir.
• À l’inverse, l’endroit peut être hanté par un esprit rendu fou mais galvanisé par la puissance magique du lieu. Si les PJ sont là au mauvais moment, l’esprit les piège dans une version démultipliée de la ruine qui apparaît comme une gigantesque cathédrale labyrinthique dont ils ne pourront sortir qu’en résolvant une série d’énigmes, en combattants les explorateurs et aventuriers morts sur place ou en promettant à l’esprit de trouver son meurtrier et le faire expier. S’ils ne le trouvent pas rapidement, il capturera leurs âmes qui viendront rejoindre son armée de fantômes.
• Un lieu comme l’abbaye de Whitby est particulièrement adapté pour Nephilim. Elle est forcément baignée de pouvoir et les Nephilim pourraient y trouver un Plexus de terre ou un Nexus, qui justifierait la construction de bâtiments religieux à cet endroit depuis la nuit des temps. Elle peut également mener à un Akasha. En effet, l’abbaye en ruine inspire les rêves et les cauchemars de l’humanité depuis des siècles. À vous de décider s’il s’y est développé un Akasha lié aux savoirs mystiques anciens et à la contemplation ou au contraire une Anti-Terre réceptacle des peurs primaires et des superstitions liées aux fantômes et aux nombreux morts de l’histoire tumultueuse du lieu.
L’abbaye peut également être baignée par un champ ascendant de Lune Noire et, avec le cimetière de l’église Sainte-Marie à côté, être un lieu prisé des Selenim qui s’y regroupent pour se livrer à de terribles invocations. Et puisque nous parlons de Selenim… Et si Bram Stoker était un très puissant Selenim? Il aurait pu créer un Royaume avec pour seuil l’abbaye de Whitby. À l’intérieur il règne en maître sur un pays sombre et gothique que les PJ devront peut-être explorer s’ils veulent lui parler… Il connaît beaucoup de secrets ésotériques dangereux mais qui peuvent se révéler utiles pour vos Nephilim favoris.
• Si vous vous apprêtez à jouer au jeu de rôle historique Medium Aevum des XII Singes, l’histoire de l’abbaye peut vous fournir des pistes… Les ossements de sainte Hilda ont été transférés à Galstonbury il y a plus d’un siècle, l’abbé de Whitby estime qu’elles doivent revenir à l’abbaye où la sainte a vécu et envoie les PJ traverser la moitié de l’Angleterre pour récupérer les précieuses reliques. Vous pouvez aussi avoir envie d’un court scénario empli d’action et de danger: faites en sorte que vos PJ fassent étape à l’abbaye au moment où les troupes viking du roi de Norvège attaquent Whitby en 1153… Arriveront-ils à tenir le siège où à sauver la personne qu’ils sont venu chercher?