FÉMININ, MODE D’EMPLOI

Joueur ou joueur.euse? Auteure ou autrice? Emploi du féminin et féminisation des mots, écriture inclusive: ces points, régulièrement considérés comme des «détails inutiles» du combat pour l’égalité des genres, sont pourtant source d’évolution sociale. Comment ? Pourquoi ? Eh bien, autant entrer dans le vif du sujet. Il y a plusieurs années, une metteuse en scène et chercheuse nommée Aurore Evain, spécialiste de l’histoire des femmes dans les arts et du Matrimoine (héritage culturel des mères), a fait resurgir le mot «autrice» des oubliettes de la langue où une horde de vieux intellos sexistes l’avait enfermé – de force, cela va de soi.

TITAM - JDR Mag 47 - Féminin, mode d'emploi
HISTOIRE D’AUTRICE DE L’ÉPOQUE LATINE À NOS JOURS Auteurs: Aurore Evain Éditeur: Ixe Collection: Ixe Prime Genre: Essai

Le terme a fait couler de l’encre et grincer des dents – féminines comme masculines. «Autrice? Mais ça fait autiste, non?»

Dans le monde du jeu de rôle, lorsqu’on feuillette un manuel, il est question de joueurs et de PJ (entendre «personnages-joueurs»), joueuses étant BEAUCOUP plus rarement utilisé (sauf dans la terminologie employée par Jérôme Brand et Coralie David). Un exemple? Ouvrez n’importe quel manuel en VF. Voilà.

Dans l’univers de l’entreprise, certaines femmes, cadres, considèrent encore qu’il est dégradant d’être appelée «Madame la directrice» et insistent pour être «Madame le directeur».

En fait, le sexisme n’a pas de genre.

Surtout que, depuis trois siècles, la langue nous conditionne dans ce sens.

Ainsi, en 2016, l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse précise dans un entretien sur France Inter: «Concernant la féminisation, nous ne sommes jamais contre. Simplement, nous souhaitons conserver ce qui est important, c’est-à-dire une tradition de belle langue. Et dans la grammaire française, le masculin l’emporte sur le féminin car il fait fonction de neutre […] c’est un combat qui n’a, en définitive, aucune espèce d’intérêt.»

Ainsi, la société, par le biais du langage qu’elle a réformé et codifié, explique aux gens que les femmes sont inférieures, et n’existent nulle part.

Contrairement à ce qu’affirme l’historienne, ce combat est essentiel : car les mots sont des armes, des armes capables de modifier les mentalités et faire bouger les lignes du patriarcat. Au-delà de la forme grammaticale, la question de la réappropriation du féminin, comme l’écriture inclusive, sont (depuis longtemps) des enjeux philosophiques et sociaux évidents: les académicien.ne.s seraient-iels si prompt.e.s à minimiser le débat, sinon?

Dans son article «Histoire d’autrice», paru dans la revue Séméion en 2008, Aurore Evain met en évidence les liens existant entre la condition des femmes, leur accès à l’espace public et l’évolution du terme «autrice» au fil des siècles. La polémique est antique: Ovide et Virgile employaient systématiquement auctor, tandis que les premiers chrétiens utilisent abondamment le féminin auctrix. Selon la chercheuse: «si auctrix évoque la genèse de la vie dans sa forme féminine, il ne se réduit pas à cette valeur essentialiste, mais évoque aussi un nouvel ordre social qui repose sur le partage et l’égalité des forces.»

TITAM - JDR Mag 47 - Féminin, mode d'emploiOn le voit, ce que contient ce mot, c’est la proposition d’une société fondée sur des idées nouvelles, voire révolutionnaires prônant l’égalité des genres et l’harmonie. C’est bien pour cette raison que les autorités littéraires, religieuses et politiques n’ont eu de cesse de le combattre. D’ailleurs, au VIIème siècle, auctor devient invariable. Si, dans l’usage, auctrix est encore employé au Moyen Âge, par des lettrées et des artistes notamment, il est peu à peu vidé de son sens premier de créatrice – jusqu’à sa disparition au XVIIème siècle. À l’inverse, le terme actor se féminise lorsqu’il se dépouille de toute autre signification que comédien.ne. En somme, le féminin a le droit d’exister dans la seule mesure où il n’a aucune importance. Intéressant, non?

Cette dévolution se poursuit. Ainsi, au XIXe siècle, Marie-Louise Gagneur réclame la légitimation du terme écrivaine à l’Académie française: il lui est répondu que «le métier d’écrivain ne convient pas à une femme». D’ailleurs, AUCUN métier créateur ne leur convient: il suffit de se rappeler que les classes de composition, au Conservatoire, étaient jusqu’au début du siècle dernier interdites aux jeunes filles, que la présence des femmes dans les formations musicales est encore considérée, parfois, comme un signe de médiocrité, que l’histoire des arts et des lettres a oublié les oeuvres et les noms des artistes femmes, minimisant leur rôle lorsqu’il était impossible de les effacer complètement. En réalité, il en va de même dans TOUTES les strates de la société – dès qu’il s’agit d’excellence, d’expression, de pouvoir ou de création.

Prière d’exister au masculin ou de se taire, merci.

Aujourd’hui, si la réhabilitation du Matrimoine permet de remettre en lumière les femmes, leur légitimité est toujours questionnée. Et, quand ce n’est pas par sexisme, c’est par coutume, parce qu’en France, le masculin vaut pour un neutre – plus consensuel, donc. Mais également plus violent, puisqu’il nie la valeur de 50 % de la population. La reconquête du féminin dans le langage comme la notion d’héritage culturel des mères permettent ainsi de mettre en évidence ces femmes enterrées ainsi que les ravages d’une société patriarcale.

Et l’écriture inclusive, dans tout cela? Barbarisme selon les un.e.s, dépassement de la problématique du genre selon les autres, elle a au moins le mérite de créer une vraie neutralité au sein de notre langue – et, par les questions qu’elle pose, d’inventer de nouveaux outils pour une r-évolution linguistique…

Charlotte Bousquet.

Laisser un commentaire