LES 9 VOIES DU FUN
TOUT JEU DE RÔLE S’ADRESSE À UN PUBLIC PRÉCIS AU SEIN DE NOTRE BELLE COMMUNAUTÉ BIEN QU’ELLE SOIT SOUVENT DÉCRITE COMME UNE NICHE MONOLITHIQUE OU UNE ASSEMBLÉE « DE CONNAISSEURS » POUR LES PLUS SYMPAS. EN VÉRITÉ, UN JEU NE S’ADRESSE PAS UNANIMEMENT À TOUS LES RÔLISTES. MON NEURONE À FUN NE S’ALLUME PAS FORCÉMENT COMME LE VÔTRE ET C’EST TANT MIEUX.
Connaissez-vous le «Jeu absolu»?
Non. Et c’est bien normal, car il n’existe pas. De là découlent les multiples querelles de chapelles qui égayent nos tribulations digitales et la pléthore de diatribes sanguinolentes en convention qui feraient passer un débat entre candidats aux élections européennes pour une discussion entre dandys autour d’une tisane au Tiffany’s. Manifestement, y a match quand il s’agit de savoir si un jeu est bon ou pas. Hélas, les échanges sur le sujet, qu’ils soient houleux ou cordiaux, digitaux ou IRL, parviennent rarement à trancher la question. Qui invoquera le style: «moi je préfère l’horreur au shonen-mangaépique». Qui citera le format des parties: «ce jeu est parfait pour les one-shot, par contre, en campagne, c’est moisi du fondement». Certains en appelleront aux thématiques abordées: «c’est sûr que les guerres de religion dans un contexte historique, c’est pas un plaisir de jeu accessible au premier venu». Quand d’autres se réfugieront dans l’analyse théorique (un brin intellectualo-chiante) de la nature ludique dudit jeu: «forcément, si t’es pas un narrativiste, tu vas t’ennuyer sur les cinquante-deux derniers scénarios».
Et je dois avouer être moi-même passé par toutes ces phases, sans jamais avoir trouvé la quiétude intérieure sur ce qui faisait, objectivement, l’attrait d’un jeu. Ou du moins sur comment savoir, à l’écoute du pitch, si tel jeu était fait pour moi ou pas. Jusqu’à ce que je rencontre Jonathan Pitts…
Dépasser les catégorisations du type «système LNS» et «Big Model»
Jonathan Pitts est une sommité du monde de l’improvisation théâtrale américaine. Fondateur du festival d’improvisation de Chicago (comprendre: «le plus gros événement de la discipline au monde» ou «l’équivalent d’un Royal Rumble de la WWE mais avec des gens vachement plus maigres»), Jonathan Pitts a appris, côtoyé et joué avec les plus grands noms de l’improvisation. Des gens si marquants pour leur époque qu’ils ont créé leur propre philosophie et fondé leurs propres écoles, dont certaines étaient d’ailleurs en opposition, voire en guerre ouverte (les références au catch n’étaient pas gratuites en effet …).
La parallèle avec le jeu de rôle est très facile à tracer.
Jeffrey Johnson a proposé dans les années 80 une catégorisation des JdR en fonction, d’une part, des attentes de réalisme et, d’autre part, des buts des joueurs. Le spectre des attentes en termes de réalisme va de l’interprétation fidèle des personnages (comme au théâtre) à la désincarnation la plus complète (comme la simulation d’un jeu de guerre). L’éventail des buts, lui, s’étire entre objectifs personnels (comme la quête d’un sentiment de puissance individuelle) et la recherche d’une narration satisfaisante.
Ce découpage a inspiré de nombreuses tentatives de catégorisations, à l’instar du «système LNS» qui définit les jeux comme étant soit «Ludiques» (ce qui est drôle, ce sont les règles du jeu), soit «Narratifs» (ce qui est drôle, c’est l’histoire), soit «Simulationnistes» (ce qui est drôle c’est la représentation de l’univers). Il existe aussi un modèle en carré qui sépare les JdR entre «Personnage», «Monde», «Histoire» et «Jeu».
La dernière tentative en date qui semble faire consensus est le «Big Model». Il se base sur une forme de contrat social avec les joueurs, ce dernier étant défini par les méthodes d’exploration du jeu, ses procédures techniques, ses instants (aussi appelés les «éphémères») et les attentes créatives.
Je sais pas vous, mais moi, ce coupage de cheveux en quatre, ça me les gonfle à la souffleuse industrielle.
Alors, certes, je ne renâcle pas devant la théorie (et ces outils sont probablement indispensables pour les auteurs et les penseurs du JdR) mais, quand je choisis un jeu, j’ai pas envie d’avoir à m’enfiler la version rôliste de L’Être et le Néant pour être certain de ne pas gaspiller 50 €.
Bien heureusement, Jonathan Pitts m’a donné quelques clés pour faire plus simple.
Ce qui importe ce n’est pas tant le jeu que la philosophie des scénarios qu’il permet d’écrire Un scénario reflète toujours les valeurs du jeu qui ont présidé à sa conception.
Cela ne veut pas dire qu’un scénario ne peut pas trahir cette philosophie. On peut tout à fait faire de la comédie épique en jouant à l’Appel de Cthulhu (mais à ce moment-là, soit il faut relire le livre de base, soit il faut consulter). Mais, dans la plupart des cas, un jeu orientera forcément vers des styles précis de scénario.
Ces philosophies peuvent être résumées en une phrase: «si je m’occupe bien de [insérer l’élément-clé] alors tout va bien se passer».
De la même manière, un format de spectacle d’improvisation est le miroir d’une certaine philosophie de jeu. Et Jonathan Pitts en définit neuf au total.
Je vais donc faire une analogie entre scénario de JdR et format d’improvisation pour vous présenter les neuf philosophies qui peuvent gouverner une partie de jeu de rôle. A vous ensuite de voir celle qui vous ressemble le plus et d’identifier les jeux qui la rendent possible.
Les neuf philosophies du scénario
1: L’amusement est dans les règles
«Si je cherche à respecter les contraintes imposées par les règles, alors tout va bien se passer.»
C’est ainsi que l’on peut résumer le style des spectacles de Viola Spolin dont le match d’improvisation est un lointain héritier. Ce genre de show est une accumulation de petits jeux simples, définis par une règle du genre «on ne peut parler qu’en rimant». De la même manière, le crunch d’un jeu de rôle se trouve parfois essentiellement dans ses règles ou, plus précisément, dans ses contraintes. C’est le cas, par exemple, des jeux fortement historiques ou post-apocalyptiques qui forcent les joueurs à raisonner dans un certain contexte, à limiter les moyens dont ils disposent, de sorte qu’ils aient à faire preuve de créativité devant des problèmes d’habitude simples à résoudre. Les scénarios sont alors en partie ou totalement composés de mini-jeux, à l’instar d’un jeu d’enquête ou d’un escape game où le fun vient de la créativité que suscitent les contraintes imposées.
2: Le groupe avant tout
«Si je m’appuie sur le groupe, alors tout va bien se passer.»
En impro, cette philosophie vient de Del Close, cofondateur de l’école Second City, et de David Shepherd qui a cofondé The Committee, une troupe d’improvisation ouvertement marxiste. L’idée est d’avancer organiquement dans les scènes en laissant la force invisible du groupe s’occuper de notre amusement.
Cette approche se retrouve dans bon nombre de jeux de rôle qui créent (parfois sans véritable justification) des équipes composées d’individus aux compétences complémentaires. Dirty Secrets en est une illustration mais l’un des meilleurs exemples de cette philosophie pourrait aussi être Achéron: un jeu où les participants jouent soit des «Initiés [au mysticisme]», des «Indécis» ou des «Rationnels». Je dis meilleur exemple car la perception collective des événements influe en retour le scénario. En l’occurrence, plus les personnages croient aux événements fantastiques qu’ils rencontrent, plus ces derniers se renforcent. Aucun joueur n’est donc jamais en position de leader sur cet aspect du jeu. Tout le monde avance ensemble. Une avancée «organique» donc.
J’éviterais bien évidemment de tisser un lien entre la sinophilie de l’auteur d’Achéron et les inspirations communistes de cette philosophie… Trop tard.
3: Mon roleplay!
«Si j’interprète à fond mon personnage, alors tout va bien se passer.»
Gary Austin était un ancien de The Committee qui a plus tard fondé la troupe The Groundlings à Los Angeles. L.A. (pour les intimes qui se la pètent) est évidemment le plus grand vivier de jeunes acteurs et actrices avides de gloire, prêt(e)s à tout pour décrocher une belle audition. C’est pourquoi le style de Gary Austin est avant tout fondé sur le jeu d’acteur des improvisateurs. En gros: quand je monte sur scène, c’est pour sortir des personnages de dingue, afin d’impressionner un éventuel directeur de casting qui se trouverait dans le public.
Certains JdR vont dans ce sens en faisant la part belle à la création de personnage, notamment sur la partie background. Le but ici est d’immerger complètement le joueur dans son rôle car certains apprécient le frisson que procure l’oubli total de soi dans la peau d’un(e) autre. Il est très facile de repérer les jeux qui permettent ce genre de scénario en regardant simplement la feuille de personnage et le nombre de pages blanches dédiées à la partie background.
4: Plus c’est long, plus c’est bon
«Si je peux jouer ce scénario pendant longtemps, alors tout va bien se passer.»
Michael Gellaman, qui a étudié à Second City, est un héritier de la philosophie de Del Close, basée sur le groupe. Son attention s’est particulièrement portée sur la durée des formats de spectacles. Gellaman détestait les petits jeux courts. Alors, pour marquer sa différence, il a baptisé longform les shows joués à Second City (d’une durée de trente minutes en moyenne), par opposition aux shortform (composés de petits jeux de cinq minutes environ). L’idée est qu’on ne peut rien bâtir d’intéressant en peu de temps.
Là aussi, dans le JdR, on trouve des jeux dont le potentiel n’est pleinement exploité que dans le cadre d’une campagne. C’est bien sûr le cas du jeu Vampire qui contient, dans son ADN (j’allais écrire sang mais bon…) la notion de temporalité longue, avec des scénarios qui s’étalent parfois sur plusieurs siècles. Le spectacle de l’accumulation d’histoires, de PNJ, d’intrigues et la lenteur de leur évolution font partie du sel de ce jeu. C’est pourquoi Vampire invite souvent à sa table beaucoup d’amateurs de scénarios à tiroir et de révélations en forme de poupées russes.
5: Notre roleplay!
«Si je m’occupe du développement de mes relations avec les PJ et PNJ, tout va bien se passer.»
Martin De Maat est le créateur du «training center» de Second City. Très influencé par le style de Del Close, De Maat s’est particulièrement intéressé à la relation entre les personnages d’une scène improvisée. «Prends soin de ton partenaire de scène» est un peu le cri de ralliement des thuriféraires de cette approche. Tout est affaire de sous-texte: je ne fais rien par hasard et tout est à découvrir au fil de l’histoire. Même les gestes les plus anodins sont en fait révélateurs de la nature d’une relation, de ce que j’attends de l’autre, de ce qu’il veut de moi ou de l’image que nous nous renvoyons. Il s’agit donc de présenter une surface lisse, anodine et, en apparence, stable, pour ensuite mieux gratter le vernis et découvrir les blessures cachées. Il ressort de ces histoires une tension lancinante, qui monte crescendo via un slowburn, pour exploser comme un geyser dans un placard rempli de cadavres.
En JdR, cela se traduit par des jeux qui laissent place, parfois directement sur la feuille de personnage, aux secrets que l’on partage avec un cercle extrêmement restreint. Cet aspect s’incarne aussi par des objectifs secondaires, individuels, qui essaient de rester discrets jusqu’à la fin du scénario. On peut penser à des jeux issus du système Fate qui transforment les «secrets» en compétences favorisant la réussite de certaines actions ou encore aux jeux sans dés qui procurent un bonus de réussite en fonction du roleplay des joueurs.
6: Laissez-moi être brillant!
«Si je ne m’occupe que de moi, tout va bien se passer.»
Mick Napier, fondateur de l’insolent Annoyance Theatre, était le protégé du défunt Martin De Maat. Son approche est très axée sur les émotions, le corps et l’implication des improvisateurs dans «leur moment». L’idée ici est de laisser les joueurs être brillants quand ils trouvent ce qui les fait vibrer. En somme, il s’agit de laisser éclater sa personnalité car on n’est jamais meilleur que lorsque l’on fait ce qu’on aime. Vous avez le droit d’être égoïste. D’ailleurs, on donne la consigne aux improvisateurs de ne pas interrompre les fulgurances d’un partenaire au prétexte qu’une scène doit se jouer à plusieurs. Si vous vous sentez exclus de ces moments de transe, tant pis pour vous.
Cette philosophie se retrouve en fait dans un très grand nombre de jeux de rôle qui favorisent, par exemple, des scénarios que l’on taxe de «grosbillisme». Selon Mick Napier, ce genre de critique témoigne d’une jalousie malvenue. Si votre truc c’est le minimaxage, les grands monologues, la quête de pouvoir ou la baston à un contre cent, alors foncez sans vous préoccuper du reste. Des jeux comme Scion permettent typiquement de faire émerger ce genre de scénario. Il est intéressant de noter que cette vision, en impro comme dans le JdR, est souvent contestée au point de complexer celles et ceux qui y adhèrent. Pourtant, elle est tout aussi légitime que les autres approches. Encore faut-il bien vérifier que toutes les personnes autour de la table souscrivent à ce discours pour éviter de faire passer un mauvais moment à celui ou celle qui était venu(e) uniquement pour le plaisir de l’interaction…
7: L’histoire avant tout
«Si je m’occupe de l’intrigue, alors tout va bien se passer.»
Cette philosophie est essentiellement portée par Keith Johnstone chez les improvisateurs. Cet anglo-canadien, fondateur du Loose Moose Theatre, s’est beaucoup intéressé au potentiel de narration des scènes improvisées. De là en est ressortie une posture artistique qui explique, par exemple, que les joueurs doivent incarner des personnages qui acceptent d’être vulnérables. Il faut savoir interpréter ses faiblesses au lieu d’essayer de les cacher ou de les résoudre, et laisser les événements de l’histoire nous changer pour que l’intrigue puisse avancer. Dan Harmon, showrunner de Rick & Morty, dont j’avais parlé dans une précédente Aspirine, offre une parfaite illustration de cette idée à travers sa série HarmonQuest.
Côté rôliste, cela correspond à des jeux qui prévoient l’exploitation des faiblesses psychologiques et morales des personnages, car ils ont compris que c’était un rouage essentiel du plaisir narratif. On peut penser, par exemple, à Tenga, Final Frontier, l’Appel de Cthulhu ou Eclipse Phase. De manière générale, tout jeu qui prévoit des systèmes de croyances rivaux, dans lesquels les personnages devront s’inscrire, permet de créer des parties où l’amusement vient surtout des évolutions narratives. En effet, le but de ce genre de scénario est d’amener les PJ à réaliser que certaines de leurs croyances sont en fait des mensonges qui les empêchent de réussir leur entreprise.
On passe ainsi d’un état narratif à un autre.
Exemple:
État A: «Nan mais ces histoires d’habitants d’une île recluse qui prétendent voir des noyés sortir de l’eau, c’est tout des superstitions».
État B: «Ph’nglui mglw’nafh Cthulhu R’lyeh wgah’nagl fhtagn»
8: Créer des jeux dans le jeu
«Si je me concentre sur les petits jeux au sein des scènes, alors tout va bien se passer.»
La troupe d’Upright Citizens
Brigade est elle aussi héritière de la philosophie de Del Close. Basés à New York, les membres de cette dernière ont théorisé très rigoureusement une approche fondée sur la recherche du «jeu de la scène». Le principe ici est de découvrir les règles d’un jeu au moment même où on y joue. Par exemple, si dans une scène je commence à douter plusieurs fois de ce que me dit mon interlocuteur, l’une des règles du jeu devient alors «je dois systématiquement douter de ce que me dit mon partenaire». Combinée à d’autres techniques, cette approche fait tout simplement des miracles. L’une des meilleures illustrations de cette philosophie peut d’ailleurs se retrouver dans les sketchs de Key & Peele sur Comedy Central.
Cette approche est un peu plus rare côté JdR. En effet, il faut que le jeu accepte que les joueurs créent leurs propres règles au sein même du scénario. On peut donc penser aux jeux sans MJ ou à MJ tournants comme Fiasco ou Mnemosyne. Le système Fate permet également de créer des scénarios qui s’appuient sur cette philosophie pour peu que le Meneur de Jeu accepte de laisser ses PJ étoffer le background de l’univers ainsi que ses règles au fil des parties. C’est donc une philosophie radicalement organique qui ne tolère pas la rigidité prédéfinie. Elle siéra bien aux adeptes des parties qui ne posent pas le Meneur de Jeu en figure tutélaire plénipotentiaire…
9: Jouer pour traiter de vrais sujets
«Si j’essaie de traiter de sujets qui me touchent, alors tout va bien se passer.»
Augusto Boal, homme de théâtre brésilien et fondateur du théâtre de l’opprimé, utilisait l’improvisation pour mettre en scène des situations du quotidien qui peuvent interpeller un public. L’audience, alors confrontée à une réalité théâtralisée, a ensuite l’opportunité de discuter avec les acteurs, les autres spectateurs et même d’intervenir sur scène en prenant la place du personnage de son choix afin de réinterpréter les scènes.
Le JdR est tout à fait capable d’accomplir un tel tour de force. Certains jeux historiques ou réalistes, comme Te Deum Pour Un Massacre ou Tenga, fournissent suffisamment de matière à un auteur pour qu’il crée un scénario aboutissant à une immersion complète des joueurs dans leur personnage et le contexte d’une époque. Ainsi, on va pouvoir, par exemple, faire vivre « de l’intérieur» les affres du sexisme quotidien à un
homme. Loin d’être ennuyeux, prosélytes ou moralisateurs, ces scénarios sont une expérience à part entière qui reste avec vous pour toujours. Bien sûr, le plaisir ici n’est pas exactement ludique mais plutôt expérimental.
Il existe d’ailleurs au théâtre une opposition entre «théâtre comme art de la représentation» et «théâtre comme art de l’expérience». Ce qui, côté rôliste, pourrait se traduire par «le JdR pour jouer» et «le JdR pour ressentir». Ou plus simple: «Jeu vs Rôle». Est-ce que, pour vous, le plaisir vient surtout de l’intérieur ou est-il surtout exogène?
Avant d’abaisser le rideau Comme vous pouvez le voir, ces philosophies ne sont pas toutes mutuellement exclusives. Certaines se recoupent et on peut se retrouver dans plusieurs d’entre elles, avoir une hiérarchie personnelle et en changer selon les contextes. Néanmoins, il est fortement conseillé d’être sélectif, même si ça peut être frustrant.
Car à trop vouloir satisfaire nos multiples appétits scénaristiques, on finit par cuisiner des monstruosités imbouffables…
On remarquera aussi que cette déclinaison prête le flanc à une critique légitime des adeptes de la systémie (comme le sont les créateurs du «Big Model»), à savoir: cette vision ne cherche ni à décrire le monde du JdR dans son intégralité, ni à positionner tous les jeux sur des axes bien définis (comme «Personnage», «Monde», «Histoire» et «Jeu»). En effet, ces neuf philosophies ne prétendent pas constituer la représentation parfaite du monde du JdR. Il s’agit d’une vision plus pragmatique et intuitive. La raison étant que, dans un domaine artistique, ce n’est pas parce qu’un modèle est juste qu’il est efficace ou utile. Pour dire ça autrement, croire qu’on peut classifier le JdR dans sa globalité (avec le «Big Model» par exemple), c’est magnifique, mais en pratique, pas très utile.
L’approche de Pitts propose d’abandonner cette idéologie pour se tourner vers une échelle ouverte et centrée sur la subjectivité des joueurs. Le premier avantage est sa simplicité d’utilisation quand il s’agit de choisir le prochain jeu que l’on va acheter ou les joueurs que l’on souhaite retrouver à sa table. Deuxièmement, cette vision du monde très enthousiasmante car elle sous-entend qu’il y a encore nombre d’approches à découvrir. Et donc autant de raisons de revisiter certains jeux ou d’en créer de nouveaux…
Enfin, Jonathan Pitts présente ces neuf philosophies comme autant de chemins vers le sommet de la même montagne. Il nous invite donc à être patient. Selon lui, il faut d’abord arpenter l’un de ces sentiers jusqu’au bout avant de pouvoir juger ce que valent les autres approches. Ce qu’il résume par la phrase: «Un vrai maître est quelqu’un qui comprend pourquoi d’autres personnes prennent du plaisir à faire ce qui ne vous amuse pas.»
Arnaud PIERRE.