MEGA 5e PARADIGME

LA MUE D’UN GRAND ANCIEN

 

LA CINQUIÈME VERSION DE MEGA EST PARUE À L’AUTOMNE 2018 À L’INITIATIVE D’UN NOUVEL ÉDITEUR, LEHA ÉDITIONS. IL FAUT SALUER CETTE INITIATIVE ET MÊME Y VOIR UN ACTE DE FOI CAR LE JEU N’A PAS FAIT L’OBJET DE CROWDFUNDING NI DE PRÉCOMMANDES: JEAN-PHILIPPE MOCCHI, LE BOSS DE LEHA, A SUFFISAMMENT CRU AU POTENTIEL DU JEU POUR LE RESSUSCITER DIRECTEMENT EN BOUTIQUES.

MEGA 5e Paradigme
Auteurs: Didier Guiserix
Illustrateurs: Bernard Bittler, William Bonhotal, Loïc Canavaggia, David Cochard, Laurent Miny, Roland Montpierre, Anthony Rubier
Éditeur: éditions Leha
Genre: Science-fiction humaniste et positive
Prix: 49 €

TRAITS
Background:
-Missions dans mondes parallèles
-Univers de jeu pour joueurs à l’imagination sans limites!

Gameplay:
-Évolutif (trois niveaux de jeu), du débutant au vieux routard
-Bon mix roleplay

Produit:
-Livre de 300 pages relié sur papier offset
-Illustrations couleur et N&B
-Belle réussite graphique

Un peu d’histoire
Paru en 1984 comme hors-série de feu Jeux & Stratégie*, MEGA a pour beaucoup été l’occasion de découvrir le jeu de rôle. Diffusé en kiosque, le succès est au rendez-vous: soixante mille exemplaires s’écoulent immédiatement… à tel point que deux ans plus tard, une version un peu plus étoffée (MEGA 2) enfonce le clou. Le pari était cependant osé: MEGA n’est en effet pas ce que l’on appellerait aujourd’hui un jeu d’initiation. Son parti pris (jeu de science-fiction permettant d’explorer et d’intervenir sur des mondes parallèles en tant que Messager galactique – de là découle la contraction «Mega» qui donne son nom au jeu) suppose un système permettant de simuler toutes sortes d’actions sans verser dans le double écueil du simplisme ou du monster game. Si le soin apporté à la conception du jeu et la qualité des scénarios fournis est indiscutable (Étaient également fournis un écran de meneur de jeu et une planche de figurines à découper, le tout pour l’équivalent de 5 euros…), la prise en main par des primo-rôlistes de douze ou treize ans n’est pas forcément des plus évidentes en comparaison avec les différents « kits d’initiation » proposés de nos jours. Mais la sauce prend et le jeu bénéficie de l’aura et du savoir-faire de son auteur, Didier Guiserix, alors rédacteur en chef de Casus Belli**. C’est dans un hors-série de ce magazine puis chez Jeux Descartes que paraît une troisième version (1992 et 1993). Adoptant une table de résolution universelle et des règles plus détaillées, le jeu souffre dans sa phase finale éditoriale de problèmes informatiques: des fichiers sont perdus peu de temps avant l’impression et le jeu comporte des bugs. Moins en phase avec son époque (dont les succès ont pour nom INS/MV, Shadowrun ou Vampires), MEGA disparaît du paysage rôliste français. Un groupe de passionnés travaille des années durant sur MEGA IV, mais le jeu, non édité, reste dans les limbes, coincé dans une faille temporelle.

MEGA 5e Paradigme, un jeu d’initiation?
On pourrait alors se demander si cette 5e version n’a pas pour simple but de surfer sur la vague du reboot nostalgique. Loin de là, car à l’instar de la récente réédition de Chill, le choix a été de repenser le système de jeu et d’adapter un univers qui, en trente ans, avait besoin d’une remise en perspective. Et pourtant, renouer avec ceux qui avaient connu le jeu dans les années 1980 tout en restant un véritable outil de découverte du JdR revient à tenter le grand écart. À la lecture du premier tiers du livre, on saisit pourtant que ce risque, bien identifié, a été pris en compte. Les chapitres 1 et 2 s’emploient à concilier craintes du néophyte et attentes du vieux routard en proposant trois versions progressives d’un même système: cela installe d’emblée MEGA comme un jeu complet dont on pourra adapter le niveau de simulation… et donc comme un jeu auquel on pourra jouer longtemps.

Une page introductive détaille le contenu de l’ouvrage et l’ordre dans lequel il est souhaitable de le lire. C’est dès cette ouverture qu’est précisé que deux pages suffisent à gérer 90 % des situations de jeu. Le chapitre I, «Initiation», est de la même veine. Il prend par la main le nouveau venu en lui expliquant par des illustrations plutôt que par un long discours ce à quoi il va jouer et comment y jouer. S’ensuit une aventure solo sur une planète promise à la destruction et qui introduit les premières caractéristiques du système de jeu: les Traits et les Talents. Les premiers, au nombre de trois, sont les ressources naturelles du personnage (Esprit, Éveil, Corps). Les seconds, réduits à cinq dans cette première incursion dans l’univers de MEGA (Interpréter, Observation, Acrobaties, Esquive, Combat), correspondent à des savoir-faire appris et pratiqués (en d’autres termes à des compétences). Quelques points de vie et d’Ardence (pour se dépasser lors de situations critiques) et c’est parti! Une fois tout cela intégré, apparaît alors le premier étage de la fusée: Nano•Mega, «la petite règle résumée» qui va servir à jouer une première partie de «vrai» jeu de rôle. Reprenant Traits et Talents, Nano•Mega introduit les domaines (Communication, Pratique, Culture, Combat), catégories qui vont regrouper chacune sous leur intitulé les talents qui leur correspondent. C’est l’occasion d’introduire de nouveaux talents: nous tenons là l’essence du système de jeu puisque Traits, Talents et domaines sont utilisés pour effectuer l’immense majorité des tests de résolution. À chacune de ces caractéristiques est attribué un type de dé (du d4 au d12). La somme de ce pool de dés constituera le résultat d’un test à comparer à une difficulté estimée par le meneur de jeu. Marges de réussite et d’échec procurent des (dés)avantages à utiliser ou à subir lors des actions suivantes. Les points de mêlée (pM) complètent cette première mouture du système de jeu. Le scénario proposé, L’homme dans le cercueil, qui plonge les personnages dans l’Ouest américain à la fin du XIXe siècle, guide le MJ en fonction de ce que proposent les PJ et suggère des réponses différentes selon les résultats des tests. Si l’on est déjà rôliste, cela paraîtra dirigiste. Dans le cas contraire, les cinq talents et les objectifs simples confiés aux quatre pré-tirés fourniront un cadre confortable pour débuter.

Le chapitre 2 («Les règles») guide pas à pas les joueurs dans la création de leurs personnages tout en dévoilant les deuxième et troisième étages de la fusée: Mega•Court-métrage et Mega•Série, versions du jeu plus détaillées et disposant chacune de leur feuille de personnage. Les possibilités pour créer un personnage original sont nombreuses, mais le niveau de détail n’est jamais qu’une aide à l’interprétation de son personnage et non une course sans fin vers la toute-puissance: l’appartenance à la Guilde galactique, l’instance dont relèvent les PJ, implique l’adhésion à une certaine vision de l’univers, parfois proche de la Prime directive de Star Trek (MEGA a cependant eu comme inspiration première la bande dessinée Valérian.). Sa devise est explicite: «Vie et dignité». (Chose suffisamment rare pour être signalée : le combat est une option déconseillée dans la résolution des situations.) C’est aussi à partir de là qu’il est possible de s’écarter de l’esprit de la Guilde en jouant des renégats et des Nomegs, personnages plus troubles car ayant développé des pouvoirs de Mega en dehors de la Guilde puisque issus de mondes où elle ne s’est pas fait connaître. Pour une première création, on conseillera toutefois de jouer des Mega «normaux» ou de simples Contacts, à savoir des personnages agissant localement en soutien des Mega et sans avoir accès à ce que tous ces derniers savent et entreprennent. Les PJ choisissent (via des archétypes) des Voies (s’ils sont Mega) et des Métiers (s’ils sont des Contacts). Les Voies correspondent à des profils (patrouilleur, escorteur, ranger, biocyb, etc.). Les Métiers organisent la vie des Contacts en Fonctions, qui sont autant de supports apportés aux Mega dans la conduite de leurs missions (organisation, protection du Point de Transit, itinéraires, etc.). Dans tous les cas, cela concourt à donner une coloration particulière à chaque personnage en lui octroyant:
1) un certain nombre de points à répartir dans les Talents qui sont censés être les points forts de la Voie ou du Métier;
2) des spécialisations qui viendront ajouter un quatrième dé au pool constitué par le trio Trait/Domaine/Talent.

Tout ce qui est proposé est riche et peut par là même inquiéter un peu le MJ peu expérimenté dans la perspective de sa mise en oeuvre. Le chapitre 4, «Guide du meneur de jeu», bien qu’assez succinct (dix pages), fournit de quoi guider les apprentis MJ, notamment en ce qui concerne l’improvisation. Il renseigne aussi sur l’esprit du jeu, bien spécifique.

On regrettera cependant certaines (petites) incohérences qu’une relecture plus serrée aurait permis d’éviter : certains talents mentionnés dans des exemples ou dans les pages qui les récapitulent ont des intitulés différents sur la fiche de personnage Mega°Série. Une (ou plusieurs) lecture(s) est parfois nécessaire pour bien comprendre certains points (par exemple, la pertinence des notions de Rang et de Niveau de dé). Un index aurait également été bienvenu.

MEGA 5e paradigme, un jeu… d’initiés?
L’univers de MEGA, très riche, fait l’objet du long chapitre 3 (120 pages). Jeu de science-fiction, MEGA met en scène une Assemblée galactique vieille de dix-neuf mille ans qui observe notre Terre actuelle avec intérêt en se demandant si nous sommes prêts à accueillir la révélation de son existence. C’est dire que les Mega, sensibles à la présence de brèches et de failles entre univers, vont être amenés à voyager dans une infinité de lieux, autres planètes ou Terres parallèles, dont la civilisation et le niveau de développement technologique peuvent varier du tout au tout. Dit autrement, tous les genres familiers aux rôlistes pourront être abordés, à ceci près que les Mega ne seront la plupart du temps pas natifs de ces mondes et devront garder à l’esprit qu’ils ne sont a priori pas là pour bouleverser l’ordre établi. Pour passer instantanément d’un point à un autre, les Mega se téléportent d’une structure tétraédrique (généralement bien cachée et appelée Point de Transit) à une autre du même type, qu’elle se trouve sur la même planète, à des millions d’années-lumière de là ou même dans un univers parallèle. Ce pouvoir s’appelle le Transit. Les Mega «voyagent» alors dans l’intercontinuum, ce qui n’est pas sans risque… Autre pouvoir des Mega, le Transfert, lequel consiste à abandonner temporairement son enveloppe corporelle pour se projeter dans celle de quelqu’un d’autre. Le Mega peut alors percevoir ce qui l’entoure via son hôte, plus difficilement avoir accès à ses pensées et ses souvenirs. En phase avec l’esprit de la Guilde, l’idée est moins de prendre le contrôle d’une créature que de parvenir, par cette cohabitation mentale temporaire mais néanmoins troublante pour les deux entités, à établir un premier contact avec des races non humaines.

Peuples, créatures et lieux emblématiques de l’Assemblée galactique, largement décrits, vont donc constituer des cadres et des rencontres « exotiques » pour les PJ. Cependant, pour éviter au MJ la tâche fastidieuse d’avoir à délivrer un cours magistral sur un univers aussi riche, ce qui serait forcément un peu artificiel, MEGA propose quelques solutions pratiques pour un démarrage de partie rapide et… initiatique. Jouer des Contacts est la première solution. Largement ignorants de ce que représente l’Assemblée galactique, les Contacts n’ont par définition pas besoin d’avoir accès à un background bien étoffé. Repérés par la Guilde pour leurs capacités, ils ont été choisis pour aider les Mega de passage. Rien n’interdit à la Guilde de les solliciter davantage pour les faire accéder au statut de Mega: on voit la cohérence et l’évolution permises par ce statut en termes de jeu. Le cheminement qui le conduira à devenir un Mega aura l’avantage de lui révéler peu à peu et de manière plus naturelle l’existence, le fonctionnement et les buts poursuivis par l’Assemblée galactique. La seconde possibilité est d’ignorer purement et simplement l’univers de jeu en utilisant deux hacks et des personnages lambda: Megachrone, qui permettra de voyager dans le temps tout en gérant les paradoxes que ce type d’entreprises ne manquera pas de déclencher, et Megawarp, qui fera glisser des PJ dans une faille temporelle à la manière d’Alice franchissant le miroir. Ces jeux dans le jeu sont fort utiles pour apprendre les règles et jouer des parties sans avoir à assimiler toutes les richesses de l’univers de jeu.

MEGA 5e paradigme, un jeu… pour durer?
Battant le fer tant qu’il est chaud, le chapitre 5 comporte sept modules pour une utilisation «classique», c’est-à-dire avec des PJ Mega. Il y en a pour tous les goûts, du plus simple au plus dense et un encadré liminaire explique «Comment jouer ce scénario». Il n’est pas fait mention du niveau de règles (Nano, Court-métrage ou Série), laissé à l’appréciation du meneur de jeu, mais il est précisé à quel type de joueurs/personnages/MJ s’adresse le scénario, ce qui est fourni et là où il faudra mettre la main à la pâte. Détail qui a son importance: le temps probable de la partie est annoncé. Sept scénarios, cela laisse le temps de voir venir… le meneur de jeu appréciera à leur juste valeur deux aides de jeu: «Créer un scénario» (ch. 4) et «Créer des PNJ» (ch. 6). Leha a par ailleurs prévu de ne pas laisser les personnages en rade sur une planète hostile: le site mega5.fr propose d’assurer le suivi du jeu en fournissant scénarios et aides de jeu. Last but not least, l’écran du MJ, vendu séparément propose trois scénarios supplémentaires.

Un dernier brief avant de vous laisser partir en mission
Les jeux de rôle proposant une philosophie plutôt positive, fondée sur une ingérence mesurée et l’usage de la diplomatie plutôt que de la force ne sont pas légion. Si la corruption, l’ambivalence et la baston ont fait leur temps à votre table de jeu, MEGA vous proposera une expérience de jeu rafraîchissante. En outre, à l’heure où paraissent toutes sortes de boîtes d’initiation qui tendent à scinder le public rôliste en deux catégories, il fait le pari de partir à la conquête de tous les profils de joueurs (débutants, joueurs pressés, occasionnels ou partis pour des campagnes épiques et de longue durée). Ce faisant, il renoue, après vingt-cinq ans d’absence, avec son inspiration originelle: faire découvrir le jeu de rôle au plus grand nombre sans se limiter à l’usage de pré-tirés et de règles minimalistes.

Pierre-Olivier Cervesi.

* Magazine dédié aux jeux de réflexion, des plus classiques (échecs, jeux mathématiques…) aux plus novateurs (… donc le jeu de rôle). Tiré à cent cinquante mille exemplaires, on le trouvait en kiosque.

** Didier Guiserix a par ailleurs écrit un livre, malheureusement épuisé mais très bien fait, pour présenter ce qu’est le jeu de rôle: Le Livre des jeux de rôle, Éditions Bornemann, 1997. Résumer l’immense apport de ce créateur dans une note de bas de page serait vain, mais on lira avec profit Paroles d’un grand ancien. Entretiens avec Didier Guiserix, disponible sur la Scénariothèque: http://www.scenariotheque.org/Document/ info_doc.php?id_doc=6379. Michel Brassinne, alors assistant du rédacteur en chef de Jeux & Stratégie, est également co-auteur des trois premières éditions. Quant à Casus Belli, il paraissait alors en kiosque et a atteint à cette époque des ventes dépassant les 30 000 exemplaires par numéro.

 

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