L’EUKRATIDEION
LA MONNAIE D’OR MAUDITE DE L’ANTIQUE ROYAUME GRÉCO-BACTRIEN
L’EUKRATIDEION EST LA PLUS LOURDE MONNAIE D’OR ANTIQUE CONNUE À CE JOUR. ELLE A ÉTÉ FRAPPÉE AU MILIEU DU IIe SIÈCLE AVANT J.-C. PAR EUKRATIDÈS Ier, UN SOUVERAIN DU ROYAUME GRÉCO-BACTRIEN, UN ROYAUME HELLÉNISTIQUE ÉPHÉMÈRE, OUBLIÉ ET MAL CONNU, ISSU DE L’HYBRIDATION CULTURELLE ENTRE LES SOLDATS D’ALEXANDRE LE GRAND ET LES POPULATIONS DE BACTRIANE, AU NORD DE L’ACTUEL AFGHANISTAN.
Ses origines mystérieuses et son destin mouvementé depuis sa découverte au XIXe siècle en font un excellent point de départ pour un scénario d’aventure réaliste ou fantastique situé à ce siècle, ou même à des époques plus anciennes.
Le roi Eukratidès
Eukratidès Ier (dont le nom est francisé en Eucratide) est un personnage mal connu dont la vie a été marquée par les tourments de l’ambition. Général de Démétrios Ier, qui règne alors sur le royaume gréco-bactrien, il se rebelle contre son supérieur à la tête des troupes qui lui avaient été confiées et usurpe le trône en 171 avant J.-C. Dès ce moment, il semble disposer d’un pouvoir, d’une chance ou d’un soutien surnaturel particulier. Qu’on en juge: selon l’historien romain Justin, il aurait vaincu avec trois cents hommes l’armée de reconquête de Démétrios, qui comptait 60 000 hommes ! Fermement basé dans sa capitale fortifiée, Eucratidia (peut-être l’actuel site d’Aï-Khanoum en Afghanistan), Eukratidès se lance aussitôt dans une guerre vers le nord-ouest contre l’Inde, essaie en même temps d’agrandir son territoire en Bactriane, s’en prend aux terres de multiples peuplades, et s’attaque à la puissante ville de Merv, alors tenue par les Parthes et leur roi Mithridate, qui le repoussent et lui arrachent à contrecoeur un accord de paix. C’est durant cette période qu’il fait frapper des monnaies luxueuses sur tous les territoires conquis, pour affirmer sa puissance. L’Eukratideion représente le roi casqué, doté d’une oreille et d’une corne de taureau, symboles de puissance (et allusions à l’entité qui lui a conféré son pouvoir?). Le verso représente les Dioscures, jumeaux mythologiques grecs que l’on priait dans les situations désespérées. Vers 150 av. J.-C., Eukratidès guerroie contre le roi Ménandre Ier qui a pris la tête du royaume indo-grec en 165.
La mort d’Eukratidès est à l’image de sa vie: sanglante. Son fils aîné, qu’il avait commencé à associer à son règne, a-t-il convoité l’Eukratideion? Le fait est qu’il détestait son père. Au cours d’un voyage, l’aîné assassine son père, traîne son cadavre derrière son char et ordonne que son corps soit laissé sans sépulture. Il prend le nom d’Eukratidès II, mais son cadet Hélioclès conteste son pouvoir et tous deux s’épuisent dans une guerre fratricide. Eukratidès II, vainqueur mais à bout de ressources, doit faire face aux invasions de plusieurs tribus voisines et meurt au combat. Eucratidia est finalement prise par les Yuezhi, des nomades éleveurs de boeufs et de chevaux qui fondent un nouvel empire hors de l’influence grecque. C’en est fini du royaume gréco-bactrien.
Une malédiction? Quelle malédiction?
La nature exacte de la malédiction dont l’Eukratideion est porteur dépendra entièrement de vos besoins ludiques. Pour un scénario d’occulte contemporain (du type L’Appel de Cthulhu) ou pulp, Eukratidès doit ses victoires et son destin sanglant à un accord passé avec une entité surnaturelle. Il l’a découverte accidentellement au cours d’une campagne militaire et elle lui a fait miroiter richesse et pouvoir afin de l’amener à la libérer. Avec l’aide d’un sorcier bactrien, Eukratidès l’a enfermée dans l’Eukratideion afin de mieux la contrôler, mais cela n’a fait que retarder sa propre perte. Au moment de l’invasion yuezhi d’Eucratidia, l’Eukratideion a été identifié comme un danger par un chaman yuezhi et enseveli à jamais dans les ruines. Sa redécouverte est une catastrophe puisque l’entité qu’il contient va de nouveau pouvoir étendre son pouvoir. Sur les deux survivants de la rixe, Yer ignore la nature magique de la monnaie. L’autre survivant, lui, est un chaman membre d’une organisation magique très ancienne et il est prêt à tout pour récupérer la monnaie: selon vos envies, il pourra devenir un allié ou un ennemi.
Pour un scénario situé dans l’Antiquité, la monnaie peut recéler une entité lovecraftienne puisée dans Cthulhu Invictus ou pourquoi pas inspirée du Dieu noir imaginé par David Gemmell dans Le Lion de Macédoine, son cycle de romans de fantasy inspirés de la vie d’Alexandre le Grand.
Et dans une perspective entièrement réaliste?
La « malédiction » n’est qu’une légende inspirée par l’avidité d’Eukratidès et des hommes en général. La monnaie peut alors fournir un «MacGuffin», simple prétexte au déchaînement des convoitises, comme la statuette du roman et du film Le Faucon maltais. Si vous décidez que la monnaie est un faux, vous aurez besoin d’un personnage de faussaire retors des années 1860, disposant de savoir, d’argent et de prestige. Le Duc de Luynes est un parfait candidat pour ce rôle, mais il peut aussi s’agir d’Anatole Chabouillet lui-même.
Notez que vous pouvez utiliser cette inspi dans un contexte plus contemporain: il faudra alors mettre en scène une expédition aux moyens plus restreints (par exemple la Délégation archéologique française en Afghanistan, première équipe archéologique à fouiller Aï-Khanoum dans les années 1960, ou bien une équipe moins officielle et moins strictement honnête), qui se risquera en Afghanistan pendant l’une des multiples périodes de troubles qui jalonnent son histoire récente. À partir de 1978, les talibans pillent et saccagent le site… peut-être avec un but secret lié à Eukratidès, qui sait?
Pierre CUVELIER
Sources utilisées
–Julien Olivier, «L’Eukratideion: une “monstruosité numismatique”», article sur le blog. L’Antiquité à la BNF, plate-forme Hypothèses, 1er août 2018.
-Claude Rapin, «Gréco-bactrien», dans Jean Leclant (dir.), Dictionnaire de l’Antiquité, Paris, Presses universitaires de France, collection «Quadrige», 2005.
-Alexandre, le film d’Oliver Stone sorti en 2005, contient des scènes fournissant une bonne inspiration pour mettre en scène les contacts entre les populations de culture grecque (comme les Macédoniens conduits par par Alexandre) et les populations d’Asie centrale.