LES HÉRITIERS

 

Quelle a été ta première partie de jeu de rôle?

TITAM - JDRMag32Isabelle: J’avais intégré un groupe de joueurs invétérés de JdR, de wargames et de jeux de plateau en remplissant la dernière place à un Diplomatie et en m’y montrant assez efficace. C’étaient les grandes vacances, nous avions passé l’après-midi à jouer à Dune, le jeu de plateau, et ils avaient prévu un JdR le soir. Ils m’ont demandé si je voulais y participer et bien sûr j’ai accepté. C’était un Scales (oui oui, un jeu avec des créatures magiques dissimulées dans la société contemporaine…), et je me souviens avoir joué une succube en phase de révélation.

 

Quel est le premier jeu que tu as animé?

Isabelle: Au risque de faire caricatural, mon premier jeu, c’est Nephilim II. Tout le monde m’en parlait, ça avait l’air super et ça correspondait bien à mon parcours (prépa en Lettres classiques, autant dire, un parcours d’Eolim…). Et puis c’était beau! (Je révère Frank Achard!*)

À la lecture, j’ai adoré mais, comme j’étais un peu une étudiante bourrine, j’ai fait ce que je n’ai jamais retenté : j’ai lu le bouquin de la première à la dernière page (en trouvant, à la fi n des sorts de troisième cercle de Kabbale, que c’était un peu rude…). Bon, après, j’ai compris que la méthode picorage, c’est pas mal non plus.

 

Qu’est-ce qui t’a conduite à écrire ? Sur quels projets as-tu collaboré?

Isabelle: J’ai commencé à écrire avec mon compagnon d’alors, Éric Paris, même si, dans ma jeunesse, j’ai toujours rédigé des bouts de trucs, je dois avoir au moins une dizaine de débuts de romans dans mes papiers. Nous hantions la fameuse boutique Phénomène J, pas loin de la rue des Écoles à Paris et j’y animais des parties de Nephilim, justement. Nous avons, au passage, rencontré là Arnaud Cuidet, et Sébastien Célerin** (en testant le début des Chroniques de l’Apocalypse, ce me semble). Nous avions bien discuté, à plusieurs reprises, et, étant entré chez Multisim, il nous a proposé de bosser sur un supplément « Sciences occultes ». Et en fait, ce supplément s’est transformé en Nephilim: Révélation. Après ça, nous avons collaboré sur Agone (Dramatis Personae et le fameux atlas devenu un objet légendaire). Puis, après six ans de warp à écrire ma thèse (sur la SF, je vous rassure), j’ai collaboré avec les XII Singes pour Kadath (un jdr sur les «contrées du rêve» de Lovecraft) avant de devenir auteure et directrice (littéraire ou éditoriale, je ne sais pas trop) chez les Sombres Projets depuis 2011 pour Mournblade et Wasteland.

 

Les Héritiers est un projet ancien. De nombreux éditeurs l’ont eu entre les mains, dont notre rédacteur en chef quand il travaillait pour d’autres maisons d’édition par le passé. Quels en sont les auteurs?

TITAM - JDRMag32Isabelle: Les Héritiers est né de nos parties de jeu autour d’un objet indéfini qui n’était plus Maléfices mais qui n’était pas non plus Les Héritiers et qui a pris forme, d’abord en jeu, puis sous la plume de notre MJ, Éric Paris. Et puis un jour, au fil de nos aventures chez Multisim, le projet de coucher par écrit ce qu’on jouait est né.

Il y a eu de nombreuses versions, dont l’une avec notre ami Philippe, puis l’avant dernière version, qui réunissait donc Éric Paris, Jean-Baptiste Lullien*** (avec qui nous avons énormément joué), Fabien Clavel et moi-même. Nous avons eu de nombreux testeurs relecteurs, dont nos inséparables amis lyonnais rencontrés… sur la mailing-list Nephilim…

Quant à la version entrée en préproduction, elle intègre des textes de Vincent Blanchard, qui travaille également pour les Sombres Projets sur Wasteland et Mournblade.

 

Pourquoi n’entre-t-il en préproduction que maintenant?

Isabelle: Les Héritiers est un peu un jeu maudit (je rencontre d’ailleurs des gens qui se souviennent encore des annonces d’il y a dix ans! Les rôlistes ont une mémoire folle !. Nous avions d’abord projeté d’en faire un jeu Multisim (puisque c’était «notre maison-mère»). À la chute de Multisim, devenus orphelins, nous avons essayé de trouver un autre patronage, notamment chez le 7eme Cercle, pour finalement arriver à un accord avec Ubik (Edge), pas très confort (il fallait trouver des illustrations et fournir un produit fini, hélas, nous n’étions pas illustrateurs, mais nous avions rencontré des tas de gens à l’enthousiasme débordant et… gratuit (qui nous avaient beaucoup aidés) mais qui avait le mérite d’exister.

Suite à des circonstances personnelles difficiles (une séparation) et à ma thèse, le projet est tombé à l’eau. Je l’ai ressorti des cartons à la fin de ma thèse, pour me rendre compte que, faire cavalier seul dans le JdR, c’est compliqué… Étant entrée chez les Sombres Projets, j’ai fini par leur soumettre ce jeu, Jawad a été très enthousiaste, et nous voici! De plus, nous essayons, avec Fabien Clavel, de faire en sorte que son premier roman, qui était un roman Les Héritiers(!), puisse être édité (très probablement chez les Éditions Mnémos) parallèlement à la sortie du jeu.

 

Pourquoi as-tu eu envie d’écrire ce jeu?

Isabelle: Plus qu’une envie d’écrire un jeu (ce qui serait davantage ma position actuelle, maintenant que j’ai plus de bouteille) nous avons surtout eu besoin, pour nos parties, de mettre le jeu auquel on jouait en forme, dans un texte. Après avoir bossé sur Nephilim, l’idée que ce texte, à l’origine d’usage privé, puisse se retrouver entre les mains d’autres personnes, est née et a grandi. Et puis ça a fini par devenir une idée forte (d’aucuns diront obsessionnelle…), soutenue par l’enthousiasme débordant de tous nos joueurs, d’hier et d’aujourd’hui. Le plus dur, c’est d’essayer de transmettre une expérience de jeu par le canal d’un livre…

 

De quoi parle Les Héritiers? Et qui sont ces Héritiers?

TITAM - JDRMag32Isabelle: Les Héritiers se déroule à la Belle Époque, en Europe et notamment en France, ce qui change des jeux proprement victoriens. Derrière la société humaine, se dissimule une société de fées capables de se changer en humains pour passer inaperçues, pourchassées depuis l’ère chrétienne par les hommes. Vieille de plus de douze siècles, cette société est complexe : elle abrite une Monarchie tiraillée par de nombreuses factions, des Communautés révolutionnaires et des magiciens. L’un de ses buts, devenu mythique avec le temps, est de rétablir l’Alliance, c’est-à-dire de parvenir à vivre à nouveau à visage découvert en paix avec les humains.

Mais Les Héritiers, c’est aussi un jeu initiatique, dans la plus pure tradition. Car tout se complique, avec l’apparition des… Héritiers. Certaines fées font des rêves prémonitoires. Et parmi ces rêves, des cauchemars où ils voient un champ de bataille horrible, des tranchées et un Dragon immense en train de dévorer la Terre. Ils se réveillent en sueur, avec ces mots gravés en leur esprit: «En 1914, tout s’achève. Je suis un Héritier.» Ainsi, Les Héritiers est aussi un jeu apocalyptique: les PJ en sont les prophètes et ils sont manifestement élus pour changer le futur. Et c’est également un jeu sur le désenchantement du monde par la modernité et par le traumatisme de 1914, désenchantement dont nous sommes… les héritiers.

Enfin, malgré sa thématique très grave, Les Héritiers est un jeu qui permet de jouer des gentlemen aventuriers, un peu pulp, héroïque, souvent cocasse, où les PJ peuvent accomplir des actes spectaculaires tout en restant élégants (car l’un de nos maîtres à penser était et reste Robin Laws et son Feng Shui, voilà, la confession est complète!).

 

Le leg n’est pas une thématique nouvelle dans ton travail. Quand tu as travaillé sur Nephilim: Révélation, tu as développé une campagne à travers les siècles pour les premiers PDF payants de l’histoire du JdR français.

Isabelle: Ah oui! En effet! Je pense que c’est un effet de ma formation, de mon métier et de mes convictions profondes: je suis enseignante, j’ai fait des Lettres classiques (comme tout bon Nephilim), ma vocation, c’est de transmettre ce fond culturel que l’on croit mort mais qui reste vivant chaque jour (car n’est pas mort ce qui à jamais dort…) et sans lequel le monde est plus opaque (et plus laid). Et plus, ce fond culturel, c’est du rêve! Le rôliste est, fondamentalement, un classique qui rêve de héros, de quêtes et de monstres!

 


 

Précisions:
* Franck Achard était le directeur artistique de Multisim et des Éditions Mnémos pendant de longues années. Il est le concepteur de la maquette de Jadys, le dernier succès en fi nancement participatif des Éditions Mnémos.

** Notre rédacteur en chef. Certains hurleront au copinage en lisant cet article. Le fait est que nous ne pouvons pas taire le fait que certains de nos collaborateurs traînent leurs guêtres avec nous depuis 15 ans.

*** Game designer à qui l’on doit le système de combat avec écart de Taille d’Agone, ainsi que le développement de jeux comme Zombicides ou AT-43 et celui du Monde de la version française de Dieux ennemis.

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